L’auteur y souligne d’abord que ”l’opinion française, dans sa majorité, approuve l’idée de renforcer l’étude du religieux dans l’École publique. […] Plaidant pour ”une approche raisonnée des religions comme faits de civilisation”, il note cependant que ”La précaution laïque autant que la saturation du système éducatif conduisent à […] à écarter l’hypothèse […] d’une “ matière ” en plus et à part entière dans le premier et le second degré. […]. C’est donc sur les contenus d’enseignement, par une convergence plus raisonnée entre les disciplines existantes, et surtout sur la préparation des enseignants qu’il convient de faire porter l’ambition. Ce sont ces derniers qu’il faut inciter, rassurer et désinhiber et, pour ce faire, mieux armer intellectuellement et professionnellement face à une question toujours sensible car touchant à l’identité la plus profonde des élèves et des familles.
Interview de M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale, à Europe 1 le 14 mars 2002 - texte intégral
Vous avez rendu public ce matin le rapport sur l’enseignement du fait religieux à l’école et il est signé R. Debray. Qui avait demandé ce rapport précisément ?
– “C’est moi-même qui l’ai demandé à R. Debray voici quelques mois, parce que j’ai pensé qu’il fallait, sur ces sujets, voir plus clair sur l’état de l’enseignement de l’histoire des religions et, en même temps, accorder une place plus cohérente à cette histoire de l’enseignement des religions.”
Vous pensez vous-même que le retour de l’histoire des religions à l’école laïque serait une bonne chose pour les élèves ?
– “Il faut être très clair. D’abord, quand vous dites “école laïque”, vous avez raison, notre école républicaine est une école laïque qui n’enseigne pas les religions et ne doit pas enseigner les religions. Par contre, l’histoire des religions, l’histoire du fait religieux doit faire partie tout naturellement de l’histoire tout court. Comment comprendre certains conflits, certaines guerres civiles, si l’on est ignorant de l’histoire des religions. Par conséquent, l’histoire des religions, c’est un élément constitutif, je dirais de la culture générale d’un enfant et d’un jeune.”
Vous avez vu sans doute que même les jeunes de 15 à 18 ans qui ont été sondés par l’hebdomadaire catholique “La Vie” estiment que transmettre des connaissances sur les religions, c’est une bonne chose ?
– “C’est une bonne chose. En réalité, on redécouvre des choses simples. Lorsqu’en 6ème figure au programme d’histoire l’Egypte ancienne, on y apprend l’histoire de la religion égyptienne, ses liens avec l’architecture, avec les rites de mort, de naissance. Quand on aborde la Saint-Barthélémy dans les programmes d’histoire plus contemporains français, on ne peut pas ne pas évoquer …”
[Le conflit entre] catholiques et protestants.
– “Exactement. Donc, par conséquent, il s’agit, avec ce rapport et surtout les conclusions concrètes, d’assurer mieux encore cette histoire des religions dans ses relations avec la philosophie, l’histoire et l’ensemble des disciplines. Et, pour ce faire, j’ai décidé, après les propositions de R. Debray…”
Parce qu’il vous a simplement communiqué une série de sujets. Qu’est-ce que vous avez retenu au premier abord ?
– “Nous avons décidé principalement de créer un Institut européen en sciences des religions, qui réunira des universitaires, des chercheurs. L’idée c’est de pouvoir précisément encourager les recherches, et surtout vis-à-vis de l’enseignement, de fournir au futur maître des éléments de connaissance, d’information leur permettant de mieux assurer cette histoire des religions. Il faut comprendre aussi que l’histoire des religions, ce n’est pas seulement l’histoire des religions monothéistes telles que nous les connaissons en occident. Mais c’est aussi l’histoire de toutes les religions, y compris le bouddhisme ou d’autres religions importantes qui participent de la culture universelle.”
N’y a-t-il pas déjà une sorte de réticence de la part de certains enseignants laïques, parce que, après tout, ils peuvent se dire que ce n’est pas à eux d’aborder ce genre de questions.
– “Absolument pas. D’ailleurs, nous avons été en consultation avec ces enseignants dont vous parlez. Ils ont participé à la réflexion. Ce que nous décidons aujourd’hui s’inscrit dans une autre décision que j’ai prise de mettre en place un conseil national de réflexion et d’action pour la laïcité. En effet, notre enseignement doit être placé dans le cadre d’une école publique et laïque – même l’école privée d’ailleurs doit rester laïque – qui, d’une part écarte toute forme de prosélytisme, toute forme de propagande religieuse qui n’a pas sa place à l’école. Il ne faut surtout pas confondre l’enseignement du fait religieux ou l’enseignement de l’histoire des religions, avec l’enseignement des religions.”
Parce que c’est un thème assez explosif. Aujourd’hui, quand on évoque l’islam et le judaïsme, on pense évidemment au conflit du Proche-Orient.
– “Oui, mais en même temps, je crois qu’une meilleure connaissance de l’histoire de ces religions peut être, au contraire, une source de meilleure ouverture d’esprit et de respect mutuel. C’est souvent l’ignorance qui entraîne l’affrontement et la violence.”
(Source :Premier ministre, Service d’information du gouvernement, le 15 mars 2002)
Enseignement du fait religieux dans l'École laïque
La laïcité
Le principe de laïcité en matière religieuse est au fondement du système éducatif français depuis la fin du XIXe siècle. L’enseignement public est laïque depuis les lois du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886. Elles instaurent l’obligation d’instruction et la laïcité des personnels et des programmes. L’importance de la laïcité dans les valeurs scolaires républicaines a été accentuée par la loi du 9 décembre 1905 instaurant la laïcité de l’État.
Le respect des croyances des élèves et de leurs parents implique
- l’absence d’instruction religieuse dans les programmes
- la laïcité du personnel
- l’interdiction du prosélytisme
La liberté religieuse a conduit à instituer une journée libre par semaine laissant du temps pour l’enseignement religieux en dehors de l’école.
Mais la question du statut du religieux est en discussion. Ainsi, en février 2002 est paru le rapport sur “ L’enseignement du fait religieux dans l’École laïque ” que le Ministre de l’Education avait demandé à Régis Debray.
L’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Rapport au ministre de l’Éducation nationale. (Préface de Jack Lang), Paris, Odile
Jacob, Franche-Comté, SCEREN, avril 2002, 60 p.
À la demande du ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, R.D. a remis, le 14 mars 2002, un rapport sur l’enseignement du fait religieux à l’école publique. Ce texte court et dense se divise en cinq parties distinguant d’abord les attentes, les résistances et les contraintes d’un tel enseignement. L’introduction de l’histoire des religions à l’école publique fait l’objet d’un consensus au nom de préoccupations patrimoniales, sociales et morales. L’A. s’en démarque et insiste sur la nécessité de lutter contre une perte de profondeur historique dans une société marquée par une culture de l’immédiateté. « L’effondrement ou l’érosion
des anciens vecteurs de transmission (…)
reporte sur le service public d’enseignement des tâches élémentaires d’orientation dans l’espace-temps » (p. 15). Il est impossible de lutter contre l’inculture religieuse sans renforcement des humanités en général. Il ne s’agit ni d’un retour de Dieu à l’école comme le craignent les laïcs, ni d’une porte ouverte au relativisme, comme le redoutent les religieux. Afin d’éviter toute « confusion des magistères » (p. 42), R.B. rejette l’idée d’un nouveau cours, mais prône l’incorporation du fait religieux dans les programmes. Ensuite, il examine la signification de la laïcité française au regard de ce souci : « Le temps paraît maintenant venu du passage d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) » (p. 43). Il propose enfin douze recommandations afin de mettre en œuvre une approche critique, comparative et pluraliste du fait religieux dans les programmes du primaire et du secondaire. Une formation initiale des enseignants sera prévue lors de la deuxième année d’IUFM. Seront mis en place également des sessions nationales de formation continue. L’École pratique des Hautes Études est désignée comme établissement ressource susceptible de mettre en réseau les compétences en matière de sciences des religions. Depuis la publication de ce rapport, un Institut européen en sciences des religions a été mis en place sous les directions de R.D. et Claude Langlois, ancien président de la section des sciences religieuses de l’EPHE. Le 7 novembre 2002, un séminaire interne a réuni à l’initiative de la Direction à l’enseignement scolaire (DRESCO) 300 inspecteurs généraux afin de réfléchir à la manière d’aborder les questions de religion à l’école.
On peut regretter que le module proposé par R.D. aux étudiants des IUFM s’intitule « philosophie de la laïcité et histoire des religions », comme si la transmission de la laïcité se situait au niveau des valeurs, de l’idéologie et non des faits. Or, depuis vingt ans un important travail scientifique historique, socio-historique et comparatif sur la laïcité a été réalisé. N’est-ce pas la transmission de celui-ci qu’il s’agit de privilégier plutôt qu’une mémoire militante et univoque de la laïcité ?
Archive des sciences sociales des religions, extrait du fac-similé “
Régis Debray, L’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque. Rapport au ministre de l’Éducation nationale (Préface de Jack Lang), Paris, Odile Jacob, Franche-Comté, SCEREN, avril 2002, 60 p.”
Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture
En 2005, le “socle commun de connaissances et de compétences” est introduit dans la loi ; il constitue l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen. Un livret personnel de compétences permet de suivre la progression de l’élève. À compter de 2011, la maîtrise des sept compétences du socle est nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet (D.N.B.). Les élèves doivent “être préparés à partager une culture européenne par une connaissance des textes majeurs de l’Antiquité (l’Iliade et l’Odyssée, récits de la fondation de Rome, la Bible)” et à “comprendre l’unité et la complexité du monde par une première approche du fait religieux en France, en Europe et dans le monde en prenant notamment appui sur des textes fondateurs (en particulier, des extraits de la Bible et du Coran) dans un esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions“.
Qu’est-ce qu’un fait religieux ?
Par une lettre du 3 décembre 2001, le précédent ministre de l’Education Nationale, Jack Lang, avait confié à Régis Debray une mission importante. Elle consistait à « réexaminer la place dévolue à l’enseignement du fait religieux », et ce dans le cadre laïque et républicain propre à l’Ecole de notre pays. Mission accomplie et consignée sous forme d’un Rapport remis quelques mois plus tard. Le rapporteur constate l’universalité de la question : « A la sélection sociale près, ce qui n’est pas un mince avantage, le privé et le public ont affaire, finalement, à la même amnésie, aux mêmes carences. » Le religieux apparaît pourtant comme « transversal » dans de nombreux champs d’études et d’activités humaines. Le prendre en considération ne peut être que bénéfique pour « désamorcer les divers intégrismes » qui se manifestent aujourd’hui. Encore faut-il parvenir à surmonter « un certain scientisme naïf, maladie infantile de la science en marche, comme un certain laïcisme ombrageux [qui] a pu être la maladie infantile du libre examen ».
Le temps est venu « du passage d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) ». Il importe, pour ce faire, de distinguer le religieux comme « objet de culture », en raison de son apport à l’institution symbolique de l’humanité, et le religieux comme « objet de culte », qui ressortit au travail propre des institutions religieuses elles-mêmes. Pour débloquer des situations figées et avancer dans le travail de compréhension du religieux en notre temps, il importe surtout de préciser les contenus et les contours de ce que l’on entend par fait religieux. Pour les croyants, il n’est pas question de se mouvoir dans une sphère essentialiste postulant la religion comme un fait de nature engendrant une sorte d’homo religiosus immuable selon les temps et les espaces. Au contraire, la visée actuelle consiste à découvrir l’homme dans le réseau de ses diverses relations et de ses appartenances culturelles dont la religion est forcément partie prenante. Il faut partir de l’homme dans ses rapports avec ce qu’il estime lui-même être l’Absolu. Pour mettre de la clarté dans ces approches contrastées, Etudes a demandé à Régis Debray de répondre, pour sa part, à la question litigieuse, pomme de discorde entre laïcs et croyants : « Qu’est-ce qu’un fait religieux ? » (N.D.L.R.).