1. « Nous définirons (...) le « fait religieux » comme un fait de psychologie collective, d'ordre mental, mais ayant acquis en chemin une dimension totalisante, en affectant un espace social, des comportements individuels et des formes d'organisation collective. (...) Trois critères pour accéder à une incontestable factualité: le volume, la longue durée, l'existence d'empreintes. » (p. 174)
Régis Debray (Revue Etudes septembre 2002)
Résumé mis en forme de l'article « Faits religieux » de Jean-Paul Willaime
Résumé mis en forme de l’article « Faits religieux » de Jean-Paul Willaime dans le « Dictionnaire des faits religieux ».
(Sous la direction de Régine Azria et Danièle Hervieu-Léger. Presses Universitaires de France 2010)
Ce dictionnaire propose une approche collective et libre de toute orientation confessionnelle sur les faits religieux. Son objet, réputé « indéfinissable », s’y trouve traité dans toute sa complexité, à travers la diversité des points de vue apportés par des contributeurs dialoguant au-delà des limites des disciplines et des cultures. Sociologie, anthropologie, histoire, science politique, philosophie : toutes les sciences sociales y sont convoquées pour décrypter les préconceptions et représentations implicites portées par le vocabulaire courant et pour éclairer les débats, en cours ou passés, à travers lesquels s’est construite et ne cesse de s’élaborer une pensée critique du religieux, que la conjoncture mondiale rend plus nécessaire que jamais.
Donner sens, profondeur et intelligibilité aux faits du présent, proposer des éléments de prospective : tels sont quelques-uns des objectifs de cette nouvelle édition enrichie du Dictionnaire des faits religieux, dont les index offrent un fil d’Ariane dans le dédale d’une matière par définition multiple. Tout lecteur y trouvera des outils de pensée propres à développer sa réflexion critique sur les faits religieux contemporains.
« (…) Il faut tout d’abord rappeler que l’expression « faits religieux » vise à saisir les phénomènes religieux comme « fait historique » d’une part, comme « fait social » d’autre part, ce qui est une façon de souligner que les phénomènes religieux sont construits comme « faits » à travers diverses approches disciplinaires:
historique, sociologique, anthropologique. Il ne s’agit pas d’une définition, mais d’une façon de qualifier, en langue française, les approches scientifiques des phénomènes religieux.» p.363
Les faits religieux comme faits collectifs, matériels, symboliques et sensibles
« Ancré dans l’approche des sciences sociales, adoptée par les historiens, l’expression de « fait religieux » permet de souligner la dimension objectivante des approches scientifiques des phénomènes sociaux labellisés comme « religieux ». En France, l’expression a été reprise à propos de l’enseignement relatif aux religions dans l’école publique laïque pour signifier qu’il ne s’agissait
• ni d’une initiation à une religion (teaching into religion),
• ni d’un enseignement à partir des religions (teaching from religion)
• mais d’une enseignement historique, sociologique et culturel sur les religions (teaching about religion).
Faits religieux et faits convictionnels.
« En choisissant cette expression de « faits religieux » dans les versions françaises des textes qu’elles ont émis à ce sujet, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont tenu à souligner le caractère laïque (secular) de leurs approches. Ces institutions internationales parlent non seulement de « faits religieux » mais aussi de « faits convictionnels » pour bien marquer leur prise en compte des conceptions non religieuses de l’homme et du monde (secular humanists). A la fois ancré dans l’épistémologie des approches historiques et sociologiques et dans les approches de certaines politiques publiques des phénomènes religieux, c’est ainsi que l’expression de « faits religieux » s’est imposée dans l’usage en France.
Sans représenter une quelconque théorie du religieux mais en considérant comme pratique au plan pédagogique, l’expression permet de souligner que les phénomènes religieux constituent, quelle que soit la position personnelle de tout un chacun, des faits au moins sous les quatre angles suivants »:
Les quatre angles d’approche.
- Un fait collectif (les acteurs): des individus qui partagent quelque chose en commun, qui se sentent appartenir à un même monde et qui se rassemblent plus ou moins régulièrement. (…) » (Note la religion relie les hommes; relegare, relier)
- Un fait matériel (les traces, les œuvres): Le religieux, ce ne sont pas seulement des hommes, ce sont aussi des textes, des images, des musiques, des pratiques, des bâtiments et des objets, bref un objet archéologique, littéraire, artistique, culturel… qui se donne à voir. (…) » p.364.
- Un fait symbolique (les représentations et leur sens): les représentations du monde, de soi, des autres,
de la divinité ou des forces invisibles; les théologies et les doctrines, les systèmes moraux. » (Note : lecture et relecture, religere) - Un fait expérientiel et sensible à l’échelle individuelle et collective. (…) Le religieux expérientiel et sensible, c’est tout simplement le fait que ces mises en formes symboliques de la condition humaine que sont les phénomènes religieux constituent des sensibilités. (…) Comme fait expérientiel et sensible, le religieux motive à agir dans tel ou tel sens. Le religieux, plus ou moins intensément, induit des comportements de vie, stru7cture des conduites de vie, y compris, comme l’a montré Max Weber, dans le domaine économique. (…) » p.365
Le religieux est à l’intersection des différents aspects distingués ci-dessus. (…)
Singulier ou pluriel? « Privilégier le pluriel (Faits religieux), c’est aussi bien souligner l’extrême variété phénoménales du religieux que la multiplicité des dimensions impliquées: collectives, matérielles, symboliques, sensibles. Le fait religieux dans tous ses états, peut-on dire, soit tout un programme qui consiste à parler de façon non religieuse du religieux tout en reconnaissant la consistance de son objet (c’est-à-dire sans le réduire à ce qui n’est pas lui) (…) »
La modernité. « Une autre grande leçon de ces sociologues classiques, c’est que l’étude des faits religieux est une contribution importante à l’analyse de la société dans son ensemble. Si l’on a pu croire, dans la période des Trente Glorieuses de l’après-guerre, que la religion constituait un phénomène social en voie de disparition, comme si plus de modernité signifiait obligatoirement moins de religion, l’on en est largement revenu aujourd’hui. (…) reste que la modernité contemporaine, ce n’est pas moins de religieux, mais du religieux autrement. Les façons d’être religieux, les façons de se rapporter à une vérité religieuse et de la vivre socialement évoluent dans le cadre des changements sociaux globaux. (…) »
La condition humaine. « Mises en formes symboliques de la condition humaine en relation avec la présence-absence d’un Autre (les ancêtres, les figures du divin, les esprits…), les religions sont des langages et ont une histoire; ces formes symboliques participent à la construction
- du rapport à soi,
- du rapport aux autres
- et du rapport au monde de nombreuses personnes,
elles les affectent et les motivent, génèrent des pratiques et des conduites. »
Comprendre les sociétés. « A travers l’étude des faits religieux, c’est bien l’appréhension des systèmes symboliques qui est en jeu, une appréhension qui constitue une contribution essentielle à l’intelligence des sociétés et de leurs évolutions.» p.367