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Chercher à comprendre (Y. Tremel) – ecolelaique
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Chercher à comprendre (Y. Tremel)

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Chercher à comprendre ce qui a été dit

Une analyse de texte pour situer les récits de l’enfance de Jésus dans le Nouveau Testament

Que nous disent les textes bibliques de la naissance de Jésus ?

  1. La première chose qu’on remarque, c’est qu’ils ne se trouvent pas dans les 4 évangiles. Marc, l’évangéliste qu’on s’accorde généralement à considérer comme le plus ancien, ne parle ni de la naissance ni de l’enfance de Jésus. Marc et Jean font commencer l’évangile par la prédication de Jésus. Et pour Luc, le commencement n’est pas constitué par les récits de l’enfance. Il n’y a que Matthieu qui commence par la naissance de Jésus. Luc a bien soin de nous dire que ce n’est pas là le début de la tradition, de la parole qui rapporte ce que Jésus a fait et dit, c’est avant la tradition officielle des actes et paroles de Jésus.
  2. Deuxième remarque que nous pouvons faire immédiatement : les toutes premières communautés chrétiennes ne se sont pas préoccupées de raconter les récits de l’enfance de Jésus. En tous cas, cela n’a pas pris place dans les écrits qui reflètent la foi, la tradition de ces communautés.
  3. Troisième remarque : si nous interrogeons Paul, les lettres de Paul, nous voyons qu’il n’est absolument pas question de l’enfance de Jésus. Même pas de la conception virginale (le fait que Jésus soit né d’une vierge), ce qui veut dire que les communautés pauliniennes ont pu exprimer leur foi sans faire appel à l’enfance de Jésus.

Encore une remarque avant d’entrer dans le vif du sujet : si la première Eglise a gardé quatre évangiles, notre référence ne peut pas être à un seul. Elle doit être à quatre. Et qui sont différents les uns des autres : Matthieu et Luc ne s’intéressent absolument pas de la même manière à la naissance de Jésus. Non pas qu’il n’y ait pas de points communs, mais l’un voit l’enfance du point de vue de Joseph (Matthieu) et l’autre du point de vue de Marie (Luc). Il faut accepter ce caractère pluraliste, cette pluralité de vues sur l’enfance de Jésus.
Matthieu écrit pour une communauté juive attachée à son passé. Ces chrétiens viennent d’être exclus de la synagogue par les Juifs qui les accusent de trahir la tradition ancestrale. Matthieu souligne alors tout ce qui permet de voir en Jésus le nouveau Moïse et le messie annoncé par les prophètes.
Première découverte : pour l’ensemble, pour Matthieu comme pour Luc, nous sommes devant des récits qui sont articulés, construits, structurés, organisés. Leur structure n’est pas celle d’une biographie, d’une vie de Jésus, d’un récit historique. C’est beaucoup plus élaboré :
Si nous lisons les deux premiers chapitres de Luc, nous sommes frappés par la composition extrêmement soignée, littéraire, de ces deux premiers chapitres qui sont composés de 7 tableaux, si bien définis qu’on voit pour chacun les personnages entrer en scène puis sortir. Ces tableaux ont également un centre qui est presque toujours une parole de révélation, soit d’un ange, soit d’un prophète, soit de Jésus lui-même. Ce qui est au cœur de chaque tableau, c’est une parole de révélation sur Jésus. Cette composition nous dit que nous ne sommes pas ici devant le reportage, « l’enregistrement des souvenirs de Marie par son confident Luc »

En plus de cette succession de tableaux, il y a un axe, un pivot qui traverse ces scènes. Nous avons d’abord un premier cycle des annonces. En effet, le récit de l’enfance commence par une annonce de la naissance de Jean-Baptiste à son père Zacharie, il sera suivi par une annonce de Jésus à sa mère Marie. Ensuite, il y a la rencontre des deux mères. Cette scène de rencontre se termine sur le cantique de Marie. C’est un premier ensemble. Il y a une signification dans cette manière de composer, ce n’est pas simplement quelque chose d’artistique, mais quelque chose de théologique. Ici le style, l’art, la composition sont au service de la théologie : Jean-Baptiste est celui qui prépare. Jean-Baptiste est le dernier des prophètes, la loi et les prophètes vont jusqu’à Jean-Baptiste, et à partir de Jean-Baptiste il y a Jésus.
Comme Matthieu, Luc tient à marquer la correspondance qui existe entre la vie de Jésus et l’Ancien Testament. C’est pourquoi il met en parallèle l’histoire de la naissance et de l’enfance de Jean-Baptiste (qui récapitule l’Ancien Testament) et l’histoire de Jésus, initiateur du monde nouveau. On a noté que le vocabulaire qu’il emploie dans son récit de l’enfance était tissé de souvenirs du passé : pour un public qui connaissait les Ecritures, les mots et les expressions évoquaient l’histoire du peuple de Dieu. Il a aussi montré en Jésus celui qui révélait la miséricorde divine aux pauvres gens. Son évangile n’est pas fait pour les grands de ce monde, dont il souligne au contraire l’aveuglement. Il est fait pour les petits, les gens perdus. Dans le récit de la nativité, cette préoccupation se traduit de deux manières :

  • Il raconte que la gloire de Dieu a été manifestée aux bergers, gens qui vivaient à l’époque en marge de la société et que l’on regardait avec suspicion.
  • Il montre la crèche. Il souligne ainsi que Jésus faisait partie des pauvres et des marginaux de la société. Il renvoie ainsi à toute la tradition de l’Ancien Testament suivant laquelle Dieu agit toujours à travers ceux que les hommes négligent.

Nous pouvons comparer les deux scènes de Luc qui sont construites exactement de la même manière : il y a d’abord la présentation des personnages, leur entrée en scène ; ensuite, il y a apparition d’un ange qui provoque un trouble, Gabriel. Ensuite, c’est la partie centrale, il y a l’annonce par l’ange. Ce n’est pas la vision qui est importante dans le Nouveau Testament, c’est l’audition. Et on ne sait pas si l’ange avait des ailes ! L’ange parle, il n’est pas vu pour ainsi dire, il parle. Ensuite, il y a la réaction à l’annonce, et l’ange à ce moment-là donne un signe ; nous verrons qu’il n’a pas la même portée dans l’annonce de Jean-Baptiste et dans l’annonce de Jésus. Et enfin, il y a la sortie des personnages.
Ce que nous remarquons d’emblée, c’est que l’annonce est un dialogue. Parole et écoute de la parole sont les plus importantes. C’est la parole dont l’initiative revient à Dieu, à l’ange. La scène n’est pas vue du tout à partir de la terre, à partir de Marie. Elle est vue uniquement à partir du ciel, à partir du plan de Dieu, à partir du dessein de Dieu révélé par un ange, et qui concerne le fils de Marie, et pas d’abord Marie elle-même. Et la scène est centrée non pas sur ce que Marie a pu sentir, vivre, expérimenter au niveau psychologique, absolument pas. Elle est centrée sur une annonce de ce que sera le fils, de ce qu’est le fils et de ce qu’il sera. Ça me paraît extrêmement important de ne pas déplacer le centre de gravité de ce récit, ce que nous faisons couramment. Nous faisons la psychologie de Marie, la psychologie des bergers, des mages, etc. 

Nous avons ensuite un deuxième cycle : naissance de Jean-Baptiste + circoncision de Jean-Baptiste, naissance de Jésus + circoncision de Jésus. Mais avec une inversion : pour Jean-Baptiste, c’est la circoncision qui prend le plus de place, pour Jésus c’est la naissance. Il n’y a pas de rencontre entre Jean-Baptiste et Jésus. Jean-Baptiste se retire dans le désert, caché, il mène une vie cachée. Jésus par contre va prendre l’avant-plan. Pourquoi il n’y a pas de rencontre ? Parce que précisément le commencement, le commencement officiel de l’évangile, c’est la rencontre. Plus tard. C’est là qu’il va y avoir la rencontre, du fait que Jean-Baptiste prépare la venue de Jésus, et du fait aussi que Jésus vient se faire baptiser par Jean-Baptiste. On voit donc que Luc a composé son évangile de l’enfance, parce que déjà il avait dans la tête le commencement. Les évangiles de l’enfance sont donc plus tardifs. Ce qui vient d’abord a été pensé après, puisque c’est en fonction de la rencontre Jean-Baptiste – Jésus que tout le récit de l’enfance a été composé. Donc Jean-Baptiste disparaît ; il réapparaîtra en son temps ; mais là c’est Jésus qui a l’avant-plan.
Et Jésus va connaître non seulement la révélation de sa naissance aux bergers, mais il va connaître deux révélations dans le temple. Et ici, non seulement par un homme qui est prophète, mais aussi par une femme qui prophétise, Anne. Et puis alors la dernière scène, qui est la scène charnière, c’est Jésus qui se révèle lui-même dans le temple. C’est la première Pâque de Jésus, lors de sa douzième année ; c’est la première parole de Jésus, ça veut dire que désormais, la parole est à Jésus. Et en effet, ce qui suit, c’est ce que Jésus a dit et ce qu’il a fait. C’est vraiment la charnière entre l’enfance et la vie publique. Vous voyez comment c’est composé.
Cette composition n’est pas biographique. Ce n’est pas comme ça qu’on écrit une vie de quelqu’un. C’est une présentation théologique, c’est une réflexion, c’est une méditation sur la personne de Jésus. Et en particulier la personne de Jésus comparée à une autre personne, la personne de Jean-Baptiste. Je pense que si Marie a raconté ses souvenirs, elle ne les a pas racontés comme ça.

Autrement dit, chacune de ces scènes, d’une manière ou d’une autre, est une proclamation de la parole – mais d’une parole que l’Eglise ne peut prononcer qu’après la résurrection, parce qu’avant la résurrection, l’Eglise n’en sait rien, ne sait pas autant sur Jésus, les apôtres en particulier n’ont pas compris.
Ces récits sont des récits théologiques qui ont leur langage propre, un langage du symbole. L’Ancien Testament est la donnée de base, qui a été sans cesse relue ; on a réécrit cette tradition. Le Nouveau Testament nous propose une relecture à partir de la venue du Christ. Les auteurs relisent alors à leur façon ces récits, avec une très grande liberté. Par exemple, Luc veut montrer que l’Ancien Testament est accompli. L’intérêt aujourd’hui se porte sur ce que les textes ont voulu dire dans leur élan primitif : chercher à comprendre ce qui a été dit. Il s’agit donc en fait autant de la naissance de l’Eglise que de la naissance de Jésus. On peut se situer dans l’auditoire où Luc et Matthieu prêchent, dans l’Eglise pour laquelle ils ont écrit leurs évangiles, parce qu’ils ont écrit pour les chrétiens de leur époque. A ce moment-là, les récits s’éclairent et le langage qu’ils utilisent se comprend assez facilement comme une manière de dire le message, une manière nécessaire parce que c’est celle des gens de cette époque. Dans l’évangile de Matthieu, les mages sont tout simplement ici ceux qui affirment la priorité de la parole de Dieu. Les anges sont utilisés comme des révélateurs, sous la forme de gens qui expliquent les écritures. Ils ont une fonction, ils correspondent à une fonction qui s’exerce dans l’Eglise. Leur révélation est la parole de ceux qui dans l’Eglise expliquent les écritures pour les appliquer, les actualiser. 

Nous avons deux volets du tableau qui offrent certaines correspondances et parfois une correspondance en opposition (p. ex. trouble / joie). Ce parallélisme fait apparaître :

  • Opposition des lieux : Jérusalem / Bethléem. Jérusalem connaît les écritures mais elles s’accomplissent à Bethléem. Le centre n’est plus à Jérusalem.
  • Opposition entre les personnages. Non seulement entre le persécuteur Hérode et les mages païens, mais entre Hérode qui veut mettre à mort le roi des Juifs et les mages qui l’adorent.
  • Opposition entre Jérusalem troublée et les nations qui sont dans la joie.

Ici, ce qui attire, ce n’est plus un lieu, c’est une personne. Et ce centre pourra désormais se trouver partout.
L’unité entre les deux scènes est donnée en particulier par l’étoile qui annonce aux mages la naissance de Jésus et qui décide de leur mouvement vers Jérusalem. Et qui les conduit jusqu’à Bethléem.
L’accomplissement des prophéties tient une place centrale dans cette scène. Un accomplissement qui est explicite notamment au verset 6 avec la prophétie de Michée (naissance du Messie à Bethléem). Il y a ici une combinaison de textes bibliques, une combinaison relativement savante puisqu’on ne se contente pas d’un texte mais qu’on en ajoute un autre et qu’on les fait fusionner d’une manière particulière. De plus, il y a dans ce texte pas mal de retouches. Vous en avez une qui n’a l’air de rien par rapport à l’Ancien Testament et qui est le fait que Matthieu ajoute une négation. Dans l’Ancien Testament on disait : Toi, Bethléem, tu es la plus petite parmi les villages de Juda. Et Matthieu dit : Tu n’es pas la plus petite. Cette modification est d’importance puisqu’elle marque la contradiction avec le texte biblique. C’est un « ne…pas » eschatologique en ce sens que jusqu’alors Bethléem était la plus petite mais avec la venue du roi pasteur, elle n’est plus la plus petite. C’est une interprétation chrétienne très profonde. Ce doit être une interprétation des scribes chrétiens.
Il faut signaler que l’accomplissement des prophéties ne s’arrête pas là. Tout ce texte est un réseau très serré d’allusions à l’Ancien Testament. Le fameux astre, d’où est-il sorti ? Vous avez toutes sortes de spéculations pour savoir quand une planète a pu paraître dans le ciel pour alerter les mages et les mettre en marche. Je crois qu’elle ne vient pas du ciel de Judée. Elle vient du ciel de l’Ancien Testament (Nombres 24/17). Le prophète, ici, Balaam, c’est quoi ? C’est un mage ! C’est un païen qui consulte les astres et qui répond. Il donne la réponse aux autres mages. Cette prophétie de Balaam était très vivante à cette époque-là dans les milieux juifs. C’est d’ailleurs l’origine de la fameuse étoile de David que les Juifs ont dû porter comme une marque… 

Ce n’est pas tout ! Vous avez cette montée vers le roi des Juifs avec les présents : l’or, l’encens et la myrrhe. Il n’y a pas à se demander où on peut produire de l’or, de l’encens et de la myrrhe. C’est produit dans l’Ancien Testament (Esaïe 60/5 ss) où vous avez le grand pèlerinage des nations vers Jérusalem pour la révélation du règne de Dieu. Ils montent vers Jérusalem avec les présents, les dromadaires et les chameaux. La crèche nous a accoutumés à cela. Ça, c’est le fameux pèlerinage des nations.
On voit ainsi que le style des récits de la naissance de Jésus relève du symbole plus que du reportage ou de la biographie, et que la volonté de faire le lien avec l’Ancien Testament, de le transformer à la lumière des événements nouveaux, enrichit ces textes d’une profondeur dont il faut tenir compte. Comprendre les récits de naissance de Jésus, c’est aussi parvenir à les situer dans leur contexte. Et on saisit mieux alors pourquoi la nativité occupe en fait une place assez réduite dans la Bible. Noël a d’abord été une fête païenne, ensuite une fête hérétique, et a eu beaucoup de mal à se faire admettre dans la grande Eglise. Les chrétiens n’ont pas commencé par fêter Noël. Le centre de la foi chrétienne n’est pas Noël mais Pâques. Saint Augustin (354-430) s’interroge encore : est-ce qu’on peut vraiment, nous, nous pencher sur une enfance qui est révolue ? On célèbre ce qui existe, c’est-à-dire la résurrection, on ne célèbre pas un souvenir pur et simple.
Il faut attendre Saint Grégoire le Grand (540-604), qui dit qu’il reste quelque chose de Noël, c’est que Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Alors là on célébrera Noël, mais vous voyez, ça nous mène tard…

Ce texte a été réécrit par Marie-Jeanne Nerfin à partir de conférences données par le professeur Yves Tremel.

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