La notion de laïcité évolue et se développe au fil des transformations des sociétés dans lesquelles nous vivons. On peut dégager trois périodes marquantes :
Au XIXe siècle
La laïcité en France
La laïcité en France est en fait une « contre-religion d’Etat marquée par les combats qu’elle a dû livrer, vent debout, contre la catholicité du syllabus et de l’ordre moral ». [1]
A Genève,
la situation est différente : « la laïcité, ou la neutralité confessionnelle, apparaît aux radicaux, véritables fondateurs de l’Etat moderne à Genève, comme la seule solution politiquement défendable. Elle devait placer l’Etat et son école hors des controverses confessionnelles et d’une certaine manière au-dessus. Certes l’option de laïcité genevoise n’est pas exempte d’anticléricalisme, mais elle apparaît au premier chef comme une mesure de pacification dans une constellation socio-politique où la mixité confessionnelle recelait encore un important potentiel conflictuel. Il y a là une différence notable par rapport à la situation française, où, dans un contexte confessionnel homogène, le combat pour la laïcité prit une tournure nettement plus anticléricale ». [2]
En 1815, «avec l’accord des Genevois qui vivaient encore à l’intérieur des murailles de leur ville-forteresse protestante, les puissances dominantes du Congrès de Vienne ont voulu faire de Genève un canton de la Confédération helvétique, ce qui supposait entre autres une extension territoriale au-delà de la Ville par l’adjonction de communes prises sur territoire sarde ou français et par conséquent catholiques, le canton de Genève se trouve donc confessionnellement mixte dès sa création ». [3]
A la fin du XXe siècle
La laïcité devient un concept discuté.
« L’école est par la force des choses amenée à composer avec le pluralisme religieux propre aux sociétés modernes. S’agissant de religion – et plus généralement de différends non solubles parce que du domaine des opinions et des croyances – elle est souvent tentée de le faire sur le mode de la neutralité abstentionniste de la laïcité d’Etat. Une réponse plus active et positive reviendrait à s’appuyer sur deux missions fondamentales qui reviennent de plein droit à l’école dans une conception ouverte de la laïcité : l’école doit informer et former au débat » [4].
Les limites de la « neutralité abstentionniste » que l’école est souvent tentée d’adopter en ce qui concerne la religion se révèlent préjudiciables au vivre ensemble : l’analphabétisme religieux mène à l’incompréhension, à la peur, au manque de respect. Privés de point de repère en la matière, les enfants sont laissés dans un certain désarroi face aux questions existentielles [5]. Empêchés d’apprendre ensemble des faits objectifs sur les convictions humaines, ils ne sont pas assez outillés pour le dialogue interculturel. Manquant de culture religieuse de base, ils n’ont pas les clés pour déchiffrer les innombrables signes du religieux qui ont nourri notre environnement culturel et le baignent encore. Mais surtout, une citoyenneté ouverte sur le monde ne peut pas être atteinte sans « connaissance vivante mais sans nostalgie de la civilisation occidentale » [6].
Le philosophe Paul Ricoeur, à qui l’on doit cette approche novatrice, distingue deux approches de la laïcité :
- La laïcité de l’Etat, qui se définit par l’abstention (l’Etat ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. C’est l’agnosticisme institutionnel). Il s’agit d’une laïcité négative.
- La laïcité de la société civile : reconnaissance du droit de s’exprimer, acceptabilité des arguments de l’autre. Il s’agit d’une laïcité positive, au sens de dynamique, active, polémique, dont l’esprit est lié à celui de discussion publique, qui se définit par la confrontation des arguments [7].
Il y a un lien entre ces deux laïcités : la première ne vit que grâce à la seconde. L’école « se trouve dans une position mitoyenne, entre l’Etat, dont elle est une expression en tant que service public – à cet égard, elle doit comporter l’élément d’abstention qui lui est propre -, et la société civile, qui l’investit de l’une de ses fonctions les plus importantes : l’éducation » [8].
Walo Hutmacher va dans le même sens dans le rapport du groupe de travail exploratoire sur la culture judéo-chrétienne à l’école (1999) : la laïcité de l’école publique n’est pas contestée, mais « un réexamen des modalités de sa mise en oeuvre est aujourd’hui possible et souhaitable » [9].
Les recommandations de Régis Debray en 2002 précisent : il est temps de passer « d’une laïcité d’incompétence (le religieux, par construction, ne nous regarde pas) à une laïcité d’intelligence (il est de notre devoir de le comprendre) » [10].
Au début du XXIe siècle
Le consensus semble se dessiner autour de cette approche novatrice de la laïcité ; la mise en œuvre concrète requiert évidemment des ajustements. A Genève, le département de l’instruction publique inscrit la laïcité engagée dans ses 13 priorités. « Avec la collaboration d’un groupe d’enseignants et de citoyens, il a décidé en décembre 2004 de renforcer la transmission du fait religieux dans l’enseignement genevois, base indispensable à une laïcité construite sur la connaissance ». [11]
Le Québec est un modèle passionnant à observer en ce qui concerne la laïcité interculturelle qui est en train de s’y construire. Cette laïcité ouverte est définie par « la combinaison d’une stricte neutralité des institutions et de la plus grande liberté possible des individus ». [12]
[1] [10] Régis DEBRAY, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, Odile Jacob, 2002, p. 41 / p. 43
[2] [3] [4] [6] [9] dir. Walo HUTMACHER, Culture religieuse et école laïque, SRED, 1999, p. 13 / p. 12 / p. 103-104
[5] cf. Interpellation de Patrick SCHMIED au Grand Conseil de Genève sur l’enseignement des cultures religieuses (IU 1238 du 25.04.2002)
[7] [8] Paul RICŒUR, La Critique et la Conviction, Calmann-Lévy, 1997, p. 195
[11] 13 priorités pour l’instruction publique genevoise, Genève, DIP, 2005
[12] Charles TAYLOR, cité par Jean BAUBEROT, Une laïcité interculturelle, L’Aube, 2008, p. 220