Célébré le jeudi suivant le premier dimanche de septembre
La légende veut que l’origine de cette cérémonie remonte à l’annonce de la Saint-Barthélemy en 1572: les Genevois sous le coup auraient célébré un jeûne qui depuis lors aurait chaque année commémoré ce bain de sang huguenot. Or il n’est en rien. Certes un jeûne fut célébré à l’annonce de l’horrible massacre. Mais il ne fut ni le premier ni le seul. Le jeûne est une ancienne célébration dont les premières manifestations remontent, à Genève, au début de la Réforme.
On célébrait alors un jeûne à l’occasion d’un événement dramatique, interne à la cité : peste, incendie, disette, dissension entre les citoyens, ou externe : guerre avec la Savoie, persécutions de coreligionnaires en France ou dans le Piémont.
L’idée du jeûne était que l’abstinence de nourriture dispose mieux à la prière, témoigne de notre humilité et permet une meilleure écoute de la Parole de Dieu. Comme le dit Calvin: « quand le ventre est plein, l’esprit ne se peut pas si bien eslver à Dieu pour être incité d’une affection ardente à prières ».
Au cours du 17e siècle, le jeûne prit un rythme annuel, généralement fixé en septembre et célébré en communion avec les cantons évangéliques suisses. Destiné à disparaître en 1832 après l’instauration du jeûne fédéral qui unifiait les jeûnes cantonaux, tant protestants que catholiques, il fut rétabli de manière spontanée en 1837 par des pasteurs, soucieux de ne pas perdre une cérémonie représentative de la nationalité protestante de Genève et dans laquelle s’exprimait la vocation réformée de la cité. Le contexte interconfessionnel était alors tendu – Genève était devenu un canton confessionnellement mixte en 1815 – et les protestants avaient le sentiment d’être dépouillés de leur identité nationale et religieuse dans ce nouveau canton. C’est ainsi que le jeûne genevois fut rétabli à côté du jeûne fédéral.
Avec le temps, la célébration se laïcisa au point que Philippe Monnier, dans le Livre de Blaise, peut faire dire à un élève du collège que « Le jeûne, c’est un jour où l’on se paie une bonne tampougne au Salève ! ».
Dès 1986, année de la célébration du 450e anniversaire de la réformation genevoise, le jeûne a repris de l’importance et constitue pour les protestants genevois une journée de réflexion sur leur identité, leur mission et leur avenir.
NB : Il est amusant de constater que le Jeûne genevois avait été rayé de la liste des jours fériés officiels en 1869 et qu’il a été rétabli par une loi du 1er février 1966 sans que l’Eglise ait manifesté un quelconque intérêt à ce sujet. En fait, il a bénéficié de divergences au sein du Grand Conseil à propos du 1er mai !
Professeur Olivier Fatio
Le "noyau" de l'affaire
- A l’origine, une journée de jeûne était une journée pendant laquelle on ne mangeait pas, et pendant laquelle on priait.
- Dans la Genève protestante, le premier jeûne a été suivi en octobre 1567, à l’annonce de la répression contre les protestants de Lyon.
- Jusqu’en 1636, des jeûnes ont été organisés à Genève quand les circonstances le justifiaient, de manière occasionnelle. Par exemple :
- Jeûne du 3 septembre 1572 après l’annonce du massacre de la Saint-Barthélémy
- 3 journées de jeûne en 1589, avant, pendant et après la guerre contre la Savoie
- Jeûne du 21 décembre 1602 après l’Escalade
- Jeûne de 1615 après la peste
- Jeûne de 1651 à cause d’un tremblement de terre
- Jeûne de 1655 en raison des persécutions des protestants au Piémont
- Jeûne de 1685 à cause de la Révocation de l’Edit de Nantes
- En Suisse, en 1640, les cantons protestants ont fixé pour toutes les Eglises un jeûne annuel auquel Genève était priée de s’associer. Jusqu’en 1793, un jeûne « helvétique » est donc célébré chaque année.
- Le choix du jour est plus ancien que celui du mois. Le jeudi a été retenu à Genève dès 1652 pour des raisons pratiques : aucun marché ne se tenait ce jour-là.
- En 1751, les pasteurs déplorent que dans les villages, les gens aillent au cabaret ou à la chasse le jour du jeûne. En 1789, il n’y a plus que des femmes au culte pour célébrer le jeûne. La tradition semble s’endormir.
- Pendant la Révolution, l’annexion française et la Restauration (1793-1831), la célébration du jeûne continue chaque année. Mais depuis l’annexion de Genève à la France (15 avril 1798), les jeûnes ne sont plus célébrés sur l’invitation des cantons suisses qui formaient la République helvétique : c’est l’Eglise protestante de Genève qui les organise. Les jeûnes prennent dès lors un sens nouveau : résistance du protestantisme contre l’envahisseur catholique. Les cultes célébrant ces journées connaissent alors de nouveau une forte fréquentation. Sur le fond des graves événements d’alors, les Genevois attribuent à cette cérémonie une importance et une fonction toutes nouvelles. Pendant la période française (1798-1813), le jeûne devient une fête patriotique : il permet l’affirmation de l’identité genevoise et protestante.
- Le 8 septembre 1814, le premier jeûne célébré dans la Genève libérée connaît encore une grande affluence.
- En 1815, la Compagnie des pasteurs de Genève accepte, à titre exceptionnel, de se joindre aux célébrations du jeûne interconfessionnel du vendredi (pour les catholiques et les protestants) organisé par la Diète fédérale.
- Mais dès 1816, les cantons protestants reviennent à leur ancienne coutume du jeudi et célèbrent seuls leur jeûne le premier jeudi de septembre. Genève se joint à eux. Jusqu’en 1831, les célébrations catholique et protestante ont lieu séparément ; la tentative d’établir un même jeûne pour les deux confessions a échoué.
- En 1831, le jeûne interconfessionnel, toujours fixé par la Diète fédérale au 8 septembre, tombe sur un jeudi. Genève le célèbre donc puisqu’il tombe sur le jour de sa célébration traditionnelle.
- Les difficultés commencent l’année suivante : la Diète fédérale décide que le jeûne sera célébré le 3e dimanche de septembre. Le Conseil d’Etat de Genève communique à la Compagnie des pasteurs ce nouvel arrêté sans que personne ne puisse donner son avis. Les protestants ne sont pas d’accord.
- Pour comprendre ce refus, il faut imaginer la situation de Genève, et des protestants en particulier, depuis la Restauration. Après la chute de Napoléon, les territoires européens sont redistribués. Les Genevois, qui veulent adhérer à la Suisse, doivent désenclaver leurs campagnes, donc agrandir leur territoire. Ils reçoivent alors des territoires français et savoyards (sardes) entre 1814 et 1816, les « communes réunies ». Les protestants, par un réflexe de défense, se raccrochent à des traditions dans lesquelles ils se reconnaissent.
- Le mardi 5 septembre 1837, une affichette est distribuée dans la ville. Elle annonce le Rétablissement du Jeûne genevois au jeudi 7 septembre : une cérémonie improvisée et par conséquent illégale, puisque les services religieux ne peuvent être fixés qu’avec l’approbation du Conseil d’Etat ! Le jeûne est quand même célébré ce jeudi 7, avec ferveur semble-t-il ; ses partisans disent même que 12’000 personnes se rendent dans les temples. La situation s’aggrave pour la raison suivante : le pasteur Chenevière décide de répéter l’après-midi à la cathédrale Saint-Pierre le sermon tenu le matin à la Madeleine, et il tient des propos que le gouvernement considère comme des attaques. Le pasteur fait remonter l’origine du jeûne à la commémoration du massacre de la Saint-Barthélémy (1572). Cette erreur historique n’est pas fortuite, mais calculée, même si le calcul est inconscient : faire naître le jeûne dans un contexte de persécutions et de résistance au catholicisme permet de justifier par sa commémoration une attitude semblable.
Le Conseil d’Etat réagit en suspendant Chenevière de ses fonctions pour 6 mois. Cette suspension, pour des motifs politiques plus qu’ecclésiastiques, provoque des remous. 1837 marque un tournant : le jeûne genevois est désormais compris comme la fête de la nationalité genevoise et protestante qui recherche dans ce qu’elle considère comme la « tradition des Pères » la force de résistance aux influences de l’étranger, du catholicisme et d’un Etat qui, sans se montrer persécuteur, s’oblige à la neutralité confessionnelle. Ces caractéristiques du jeûne sont désormais liées à son histoire.
- De 1838 à 1844, le Conseil d’Etat, sentant que l’opinion protestante froissée réclame le rétablissement du jeûne, autorise chaque année la célébration le jeudi qui suit le 1er dimanche de septembre.
- En 1844, une loi est adoptée qui déclare férié ce jour de l’ancien jeûne. Cette loi impose l’obligation de distinguer les deux jeûnes et de donner à chacun une coloration particulière: le jeûne genevois est un jour de prière, le jeûne fédéral, une journée d’amour de la patrie helvétique.
- A partir de 1850, le jeûne genevois connaît un lent déclin. Les traditions ne sont plus respectées, les magasins sont ouverts, on travaille dans beaucoup d’ateliers ce jour-là. En 1859, un pasteur propose même de supprimer purement et simplement le jeûne genevois qui n’est plus vraiment célébré.
- En 1869, le jeûne genevois est supprimé comme jour férié. Le jeûne fédéral, lui, continue à être un jour férié légal.
- Pendant environ 100 ans, le jeûne genevois végète, très peu célébré. Il perd de plus en plus de sa signification première, devenant une simple occasion d’aller faire un repas entre amis.
- En 1907, année de la séparation de l’Eglise et de l’Etat à Genève, une forte proportion de la population se sent menacée par les modifications auxquelles leur Eglise est soumise. On décide alors de demander aux pasteurs de donner au culte ce jour-là des détails historiques pour grouper les protestants genevois et maintenir dans leur mémoire le souvenir des persécutions qu’ont dû subir leurs ancêtres.
- En 1966, une nouvelle loi rétablit le jeûne genevois dans la liste des jours fériés.
- Pendant cette journée, la tradition est de manger une tarte aux pruneaux. A l’origine, c’était le seul repas de la journée ; maintenant, c’est souvent le bon dessert après un repas !