Plus de 10 ans de réflexion
Fin 1994, le département genevois de l’instruction publique (DIP) avait institué un «groupe exploratoire» chargé d’examiner les problèmes que peut poser à la communauté scolaire la gestion concrète de la pluralité des convictions religieuses ou agnostiques. C’était la première fois depuis un siècle au moins que le DIP se donnait un groupe de travail sur des questions religieuses. Sa constitution était motivée aussi par ce que certains milieux ecclésiaux et enseignants ont appelé ”l’inculture religieuse des jeunes.”
Dans son rapport «Culture religieuse et école laïque», rendu public en mars 1999 (rapport Hutmacher et recommandations rapport Hutmacher), ce groupe exploratoire relevait notamment que la question de la place du religieux à l’école figure à l’agenda politique dans tous les pays européens et dans tous les cantons suisses. Genève n’est exceptionnelle, avec Neuchâtel, que parce que l’Etat et l’école y sont laïcs ou plus précisément neutres en matière religieuse.
La convergence européenne des préoccupations politiques s’explique avant tout par l’évolution générale de la société, selon trois axes principalement :
- D’abord, l’attachement aux convictions religieuses de la tradition, ainsi que les pratiques, ont très sensiblement diminué au cours des 40 dernières années dans la population. Ce qui a pour corollaire un certain analphabétisme religieux chez les jeunes, qui se manifeste notamment par la méconnaissance des racines judéo-chrétiennes de notre civilisation occidentale et entraîne un déficit préjudiciable à la compréhension de notre histoire, de notre patrimoine artistique et culturel, de notre identité et de nos valeurs.
- Ensuite, sous l’effet des migrations notamment, les sociétés européennes deviennent de plus en plus multi-culturelles et multi-religieuses. Or, on sait que seule une bonne connaissance réciproque peut préserver la paix entre des communautés diverses : la tolérance ne prend pas racine dans l’ignorance.
- Enfin, l’érosion de la crédibilité et de l’influence des Eglises de la tradition laisse davantage de place à toutes sortes de mouvances sectaires sur un marché des croyances florissant et très peu contrôlé.
Comment les choses ont-elles évolué face à cette situation ?
- Neuchâtel, seul autre canton neutre en matière religieuse, a mis en place, en 2003, un «enseignement de cultures religieuses et humanistes».
- Plusieurs autres cantons ont introduit ou préparent activement des réformes.
- A Genève, pour faire suite au rapport du «groupe exploratoire», le DIP a organisé en avril 2003 une matinée de débat public sur cette question, avec la participation du philosophe français Régis Debray (mémo DIP de la conférence-débat).
- Comme il s’y était engagé dès le début de son mandat, M. Charles Beer, président du DIP, a fait le nécessaire pour que réponse soit donnée à la motion 1079 (Introduction de cours sur l’histoire des religions pour les élèves genevois) déposée par Mmes et M. V. Olsommer, S. Leuenberger et C. Nissim et adoptée par le Grand Conseil en 1996. Le Groupe citoyen s’est exprimé auprès des député-e-s par cette lettre.
- Le Conseil d’Etat a fourni une réponse au Grand Conseil le 18 février 2005 (rapport du Conseil d’Etat (M1079A-rapport). Un débat sur la motion (M 1079A-débat) a eu lieu.
- De la réponse du Conseil d’Etat, nous retenons ces lignes : « L’enseignement du fait religieux au sein des disciplines existantes doit être considéré comme un pan de culture générale nécessaire à la compréhension des événements mondiaux, à l’élaboration d’outils qui aident, le cas échéant, les jeunes à construire leurs idées et à choisir de manière indépendante leurs diverses appartenances. Cet enseignement participe ainsi à la construction de l’autonomie intellectuelle de l’élève et à l’élaboration de son esprit critique. Il permet de dépasser les crispations identitaires en renforçant ses compétences et ses connaissances. » (p.10). Le Conseil d’Etat affirme la nécessité d’une meilleure prise en compte du fait religieux dans les écoles publiques genevoises, dans le respect de la laïcité de l’école, et demande que des mesures soient prises pour encourager et aider les enseignants à intégrer cette thématique dans leur enseignement (formation, lieux d’échanges, cohérence des plans d’étude, etc.
– Le Grand Conseil a pris acte du rapport de la Commission de l’Enseignement (M1079B) et a décidé de le transmettre à la commission de l’enseignement et de l’éducation. Laquelle commission, après avoir entre autres auditionné le Groupe citoyen, a rendu son rapport.
Mis aux voix, le renvoi du rapport de commission M 1079-B au Conseil d’Etat est rejeté par 59 non contre 7 oui.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission M 1079-B le 22 septembre 2006.
– Le groupe citoyen ”Culture religieuse et humaniste à l’école laïque” s’est constitué en 2002; il a pour but de soutenir les recommandations contenues dans le rapport du «groupe exploratoire», d’entretenir la réflexion et de récolter de la documentation.
L’école genevoise peut et doit entrer en matière
Le groupe citoyen fait en effet siennes les principales recommandations contenues dans ce rapport et souhaite en particulier :
- que le DIP, tenant compte des profondes transformations de la société, entre en matière sur le principe d’une prise en considération plus explicite du fait religieux dans le cadre de l’enseignement ;
- que le principe de neutralité, nullement remis en question, interdise certes toute forme d’instruction religieuse ou de catéchisme, mais n’empêche pas l’école publique de donner aux jeunes une information solide sur les questions et les phénomènes religieux, sur l’histoire des religions et en particulier les origines judéo-chrétiennes de la civilisation occidentale, tout en soignant aussi l’histoire de la laïcité, de la science et de la démocratie ;
- que toute prise en compte des faits religieux soit placée dans une perspective globale qui lui donne un sens général à long terme et dont le dessein vise une citoyenneté ouverte sur le monde et fondée sur une connaissance vivante de la civilisation occidentale et en particulier européenne, de ses origines, de ses dimensions fondatrices, de son originalité dans l’histoire de l’humanité et dans le monde contemporain ;
- que cette prise en compte des faits religieux se situe dans la perspective d’ensemble des grands thèmes du débat scolaire actuel, à savoir notamment la formation de la personne, y compris la personne en quête de sens, la formation à l’éthique du libre examen et du libre débat, l’approfondissement de la culture scientifique et celui des valeurs de solidarité, de respect d’autrui, de la démocratie et des droits de l’homme dans une société pluraliste.
Des objectifs de compétence à la hauteur des enjeux de civilisation
Le groupe citoyen ”Culture religieuse et humaniste à l’école laïque” souhaite donc que l’enseignement genevois vise une formation des élèves aux faits religieux et aux questions qu’ils soulèvent dans l’histoire et dans l’actualité. Une telle formation s’inscrit dans les finalités de l’école publique proclamées par la Conférence Internationale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP SR/TI). Elle est soutenue par la déclaration du Syndicat des Enseignants romands et par le GAPP. A Genève, ses objectifs seront définis en application des buts de l’enseignement tels que les définit l’article 4 de la loi sur l’instruction publique, dans le respect de la laïcité et de l’esprit de Genève. Elle sera transversale aux disciplines et commencera dès le début de la scolarité obligatoire.
En conséquence, elle doit viser à faire acquérir aux élèves au seuil de leur vie d’adulte, les compétences suivantes :
- Connaître les grandes questions de la condition humaine et l’essentiel des réponses apportées par les grandes traditions religieuses et les principaux courants philosophiques.
- Discerner clairement entre savoir, croyances, convictions, foi et sagesses, et reconnaître leurs modes d’expression.
- Connaître et reconnaître le choix historique de nos sociétés pour la laïcité, le principe de libre examen et de libre débat et une éthique de la communication fondée sur l’écoute, le respect, l’ouverture et le dialogue.
- Connaître les grandes traditions religieuses (éléments d’histoire, textes, fêtes, convictions, rites, pratiques, formes de pensée, langages symboliques, etc.) et en identifier les différences et les valeurs universelles.
- Savoir vivre ensemble dans le respect de la pluralité des options, conformément à une éthique de la liberté et de l’égalité des être humains.
- S’ouvrir à d’autres formes de pensée et d’expression (symboles, rites, visions du monde, etc.). Situer de manière critique ses propres convictions par rapport aux autres.
- Se repérer et se situer de manière argumentée face aux enjeux sociaux et collectifs (identitaires, communautaires, politiques) liés aux religions.
- Identifier la spécificité de la civilisation occidentale, avec ses racines religieuses, en faire une relecture critique et comprendre les défis et confrontations qu’elle engendre pour elle-même et pour les autres grandes civilisations.
Cette vision étant posée, il convient maintenant d’avancer, en dépassant une conception trop étroite de la laïcité et en ouvrant le débat au-delà du seul DIP dont il faut saluer au passage la volonté de « renforcer la transmission du fait religieux dans l’enseignement genevois, base indispensable à une laïcité basée sur la connaissance ». (voir la onzième des 13 priorités du DIP). Le groupe citoyen invite le Conseil d’Etat à constituer une commission extraparlementaire sur cette question de la culture religieuse et humaniste à l’école laïque, réunissant tous les partenaires concernés, pour
- confirmer l’orientation générale du projet ;
- voir comment il peut être concrétisé, sachant qu’il n’est pas question d’ajouter un enseignement spécifique à l’horaire des élèves ;
- proposer une solution fondée sur l’interdisciplinarité et puisant aux apports les plus récents de l’histoire et des sciences sociales ;
- préciser les ajustements nécessaires aux divers niveaux de l’enseignement (notamment en matière de formation initiale et continue des maîtres), les conditions et les modalités de réalisation ;
- s’informer sur les solutions données en Suisse et ailleurs.
- proposer un calendrier de réalisation.
Le groupe citoyen ”Culture religieuse et humaniste à l’école laïque” :
- Patrick SCHMIED, ancien député au Grand Conseil, Ingénieur EPFL, directeur marketing, président du groupe
- Richard ALBERICI, historien de l’art, membre du comité du GAPP (Groupement des associations de parents d’élèves des écoles primaires et enfantines)
- Catherine BAUD, juriste, députée au Grand Conseil, présidente de la FAPPO (Fédération des associations de parents d’élèves du post-obligatoire)
- Roland BENZ, pasteur, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de Genève
- Karel BOSKO, historien, enseignant au Collège et à l’Université de Genève (Lettres)
- Jean-Claude BRES, chargé de recherche et développement, responsable de l’Institut de Formation Pédagogique (IFP)
- Jean-Noël CUENOD, journaliste, écrivain
- Béatrice GAEHWYLER, étudiante (FAPSE)
- (+) Jean-Claude GENECAND, ancien député au Grand Conseil, président Radio Cité,
- Janine HAGMANN, enseignante retraitée, députée au Grand Conseil,
- Walo HUTMACHER, sociologue, ancien directeur du Service de recherche en éducation. (SRED)
- Sarah KONTOS, directrice du Bureau romand du CPS (Centre suisse de formation continue des professeurs de l’enseignement secondaire)
- Bruno MIQUEL, pasteur, co-directeur du Centre œcuménique de catéchèse
- Henri NERFIN, pasteur, directeur de ”Valeurs et Projets”
- Damien PATTARONI, historien, enseignant au CO et au CEPTA
- Vesca OLSOMMER, ancienne députée au Grand Conseil, co-auteure de la motion 1079
- Christiane PERREGAUX, professeure Sciences de l’éducation. Université de Genève
- Luc RUEDIN, prêtre, aumônier catholique de l’Université de Genève
- André SAUGE, enseignant de philosophie au Collège de Genève
(Cette version du printemps 2006 est une mise à jour du texte du 10 mai 2004.)