La religion dans les limites de la cité : le défi religieux des sociétés post-séculières (Jean-Marc Larouche, 2008). La religion a-t-elle sa place dans une société laïque et dans un monde dominé par le savoir rationnel ? Doit-elle être cantonnée dans l’espace privé ou peut-elle s’exprimer sur la place publique ? Une analyse enrichissante, en provenance du Québec !
La religion a-t-elle sa place dans une société laïque et dans un monde dominé par le savoir rationnel ? Doit-elle être cantonnée dans l’espace privé ou peut-elle s’exprimer sur la place publique ? Dans quelles limites, avec quels risques ? Les débats sur l’enseignement de la religion à l’école, sur l’intégration d’immigrants aux traditions différentes et sur la persistance même du religieux au sein des sociétés démocratiques libérales réactivent ces questions qui invitent à réfléchir à nouveaux frais sur la possibilité d’une vie commune paisible et respectueuse. Placée sous le signe de la tolérance, de la reconnaissance et des raisons communes, la réflexion que propose cet ouvrage trace dans ce sens la voie d’une réinscription de la religion dans l’espace public de sociétés postséculières. ” A la question : jusqu’où la société peut-elle accommoder les différences culturelles et religieuses dans le respect des principes de la laïcité de l’Etat ? il faut d’abord rappeler que l’Etat laïque doit garantir que le pluralisme religieux et des visions du monde puisse se développer sur la base du respect réciproque. La persistance du religieux dans nos sociétés ne doit pas être interprétée comme un simple état de fait social, elle interpelle la formation d’une éthique publique à hauteur des exigences d’une société postséculière. En celle-ci, croyants de diverses confessions et non-croyants se comprennent comme les citoyens de la même cité. Loin de favoriser la segmentation des identités, la société postséculière favorise l’intégration de tous, tous également reconnus dans leur identité profonde, fût-elle religieuse.”
Dans cet ouvrage, le sociologue Jean-Marc Larouche propose, à la lumière de « l’hypothèse reconstructive » (p. 16) du philosophe Jean-Marc Ferry, de dépasser l’opposition moderne entre religion et raison publique pour penser la place de la religion dans l’espace public des « sociétés postséculières », et en particulier dans la société québécoise appréhendée en tant que communauté morale et politique.
La première partie de cet ouvrage est consacrée au développement d’un cadre théorique largement inspiré de la pensée de Ferry, et dont l’objectif est d’asseoir les fondements de la thèse évoquée ci-dessus. Pour ce faire, l’auteur s’appuie sur le concept d’ « identité reconstructive », qu’il dissocie, à l’instar de Ferry, des identités narratives et interprétatives principalement fondées sur la religion, ainsi que de l’identité argumentative typique de la modernité et fondée sur la raison critique. Jean-Marc Larouche estime alors que cette identité reconstructive est caractéristique de la situation contemporaine. Elle « s’oppose [néanmoins] à l’exclusion réciproque [des deux autres formes d’identités et] permet, par son geste reconstructif, de penser leur articulation au sein d’un espace public de reconnaissance »
Dans une deuxième partie, l’auteur entre dans le cœur de son sujet et aborde le processus de sortie de la religion qui a affecté la société québécoise. Revenant sur certaines représentations selon lesquelles « tout se résume à associer le catholicisme à la période dite de la « grande noirceur » et la Révolution tranquille à l’émancipation de cet obscurantisme » (p. 53), J.-M. Larouche rappelle bien que l’Église catholique québécoise est elle-même entrée dans un processus de sécularisation et de modernisation (p. 54). Pour l’auteur, la religion ne s’est donc pas éclipsée mais c’est le religieux qui s’est transformé. Abordant rapidement les recompositions du catholicisme québécois au cours des dernières décennies, il se réfère aux travaux des sociologues Raymond Lemieux et Jean-Paul Montminy qui « proposent un discours sur le catholicisme qui (…) relève (…) d’une démarche d’avantage inspirée d’une philosophie sociale voire d’une éthique publique » (p. 61). Ainsi, pour l’auteur, avec cette forme nouvelle de « christianisme citoyen, se profile une conception qui dé-privatise le religieux et le re-publicise au titre d’une participation à la société civile. [Il ne s’agit plus d’] une religion qui cherche à encadrer le lien social mais qui, au contraire, doit plutôt contribuer à une recomposition reconstructive du lien social » (p. 61).
J.-M. Larouche indique rejoindre « les sociologues spécialisés du christianisme contemporain (…) [qui] plaident ainsi en faveur d’une présence du religieux au sein de l’espace public tout en souscrivant au principe de laïcité » (p. 62). Il précise qu’il fait sienne la conception de Jean-Paul Willaime d’une « laïcité culturelle et citoyenne » (p. 64). Par « culturelle », Jean-Marc Larouche entend une laïcité marquée par « une culture publique partagée qui n’est rien de moins qu’une culture politique [et qui] reconnaît que nous vivons dans une société sortie de la religion » (p. 64). Cette culture politique commune se caractérise donc par « l’affirmation de l’État de droit démocratique » et la « reconnaissance des droits fondamentaux, dont celui de la liberté de religion » (p. 65). Elle est clairement dissociée de la culture morale qui, bien que porteuse de valeurs, ne correspond pas aux «raisons communes » structurant la « raison publique » (p. 65) et ne peut donc être élevée au rang de norme ou de principe régulateur. Par « citoyenne », l’auteur envisage une laïcité qui « peut miser sur la reconnaissance du fait religieux dans l’espace public [et qui] contribue à revitaliser la démocratie en faisant en sorte que les raisons de la religion puissent aussi participer à la formation d’une raison publique » (p. 64).